GIBRAN Khalil

gibranKhalil Gibran
(1883 - 1931)
Écrivain et poète libanais


La Nature et l'Homme

Au point du jour, en cette heure où l'Homme repose paisiblement sous le manteau du sommeil, j'étais assis dans un champ et conversais avec la Nature. J'étais allongé dans l'herbe verte et méditais sur ces sujets : "La Vérité est-elle Beauté ? La Beauté est-elle Vérité ?"

En pensée, je fus transporté loin de toute région habitée par l'Homme et là, mon imagination souleva le voile de la matière qui cachait mon être intime. Mon âme s'ouvrit et je me rapprochai de la nature et de ses secrets, et mes oreilles purent entendre le langage de ses merveilles.

"Pourquoi ces soupirs ?", demandais-je à la douce brise

Et la brise me dit : "Parce que je sors de la cité qui s'est enflammée à la chaleur du soleil où les germes de la peste et de la contagion se sont accrochés à mon vierge vêtement. Mon chagrin est-il blâmable ?"

Puis, mes yeux se posèrent sur les fleurs au visage ravagé de larmes et j'entendis leurs timides plaintes. Je leur demandai : "Quelle est, charmantes fleurs, la raison de vos pleurs ? " L'une d'elles releva gentiment la tête et chuchota: "Nous pleurons parce que l'Homme viendra nous couper et voudra nous vendre sur les marchés de la cité."

Et une autre enchaîna : "Quand viendra le soir et que nous serons fânées, il nous jettera sur la décharge publique. Nous pleurons parce que la main cruelle de l'Homme ne tardera pas à nous arracher au lieu de notre naissance."

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Puis, j'entendis le ruisseau se lamenter, comme une veuve pleurant son enfant mort, et je demandai: "Pourquoi pleures-tu, ruisseau à l'onde limpide ? "

Et le ruisseau dit : "Parce que je dois couler à travers la cité où l'Homme me traite avec mépris et me rejette, tant il préfère les boissons plus enivrantes. Il me transformera en éboueur de ses déchets, polluera ma pureté et changera ma bonté en infection"

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Peu après, j'entendis gémir les oiseaux, à qui je demandai : "Pourquoi pleurez-vous merveilleux oiseaux ?" L'un d'eux vola vers moi et, s'étant perché au bout d'une branche, il dit : "Bientôt les fils d'Adam viendront dans ce champ avec leurs armes meurtrières et ils nous feront la guerre comme à de mortels ennemis. Ne sachant pas qui de nous échappera à la colère de l'Homme, nous nous faisons nos adieux. La Mort nous suit partout où nous allons."

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Déjà le soleil se levait derrière le sommet des montagnes, chamarrant la cime des arbres d'une couronne dorée. 1e comtemplai ces merveilles en me posant cette question : "Pourquoi l'Homme s'acharne t-il à détruire ce que la Nature a construit ? "

(La voix de l'éternel sagesse, Khalil Gibran)