QU’UN SANG IMPUR ABREUVE NOS JT

QU’UN SANG IMPUR ABREUVE NOS JT

Pour une fois, le sujet ne sera pas les animaux. C'est ça qui est bien avec le touchatouïsme, on a le droit de parler de tout.

Là, ça me démangeait. Cet été, j'ai regardé avec une inquiétante assiduité le "JT de 20h" de France 2. Pour faire pompeux, je pourrais prétendre faire de l'anthropo-sociologie. Parce qu'il faut dire que le plat est copieux. Très lourd à digérer même. Allez, voici quand même quelques ingrédients de cette recette (garantie 100% française) :

1/ Du Patriotisme

On sait depuis longtemps que ce qui se passe "chez nous" est beaucoup plus développé dans les JT que ce qui se passe "ailleurs". Par exemple, pour ce qui concerne les choses graves, c'est à dire les morts humains (la mort animale n'existe pas sauf si c'est le dernier panda à crête mordorée qui s'éteint), on pourrait faire d'intéressantes statistiques en prenant comme grandeur le ratio "nombre de secondes consacrées / nombre de morts de telle nationalité". Il suffirait de faire un relevé sur quelques mois, on pourrait classer les nationalités par ordre de "proximité avec la France", et même classer les chaînes par ordre de "préférenciation nationale". Ahah ! (si ça existe déjà, je veux bien les références)

Patriotisme ou nationalisme ? Pas trop envie de faire de distingo, même si depuis un siècle il semblerait que le second soit devenu majoritairement péjoratif. Le sens des mots importe peu, le sentiment est le même : nous d'abord ! Comme disait le vieux Le Pen il y a déjà fort longtemps "je préfère mes enfants à mes voisins, mes voisins aux habitants d'un autre quartier, les habitants de ma ville à ceux des autres villes, les français aux personnes d'autre nationalité". On pourrait bien sûr ajouter, les humains aux autres espèces. Ça coule de source. (Le Pen a beaucoup préféré sa fille, de quoi le faire douter de sa méthode au vu du résultat).

Les sémillants présentateurs du JT prennent un air particulièrement enjoué lorsqu'ils entonnent le chant du coq (pauvres coqs). En vrac : la France vient de vendre des Rafale à l'Arabie Saoudite, les armes françaises sont à la pointe de la technologie, le TGV bat de nouveaux records de vitesse, le record du monde de saut à la perche vient d'être battu par un français, le marché de luxe français ne s'est jamais aussi bien porté, le tourisme de luxe attire de plus en plus de monde en France, tel jeu video à succès a été conçu par un français, …

Je ne peux m'empêcher de penser à la célèbre citation de Coluche, un français d'origine douteuse, à propos du choix du coq comme emblème, "le seul animal qui arrive à chanter les pieds dans la merde". C'est évidemment très spéciste. Mais on vous l'a dit, dans ces hautes sphères, l'animal n'existe pas.

2/ De la Xénophobie

Pire, car plus insidieux, les reportages quasi quotidiens de l'été sur les arnaques, les contrefaçons, l'origine douteuse des produits, les mensonges par omission à propos de la "traçabilité" … aboutissant 4 fois sur 5 à la démonstration que la plupart de ces pratiques épouvantables se déroulent à l'étranger. Ou pire, chez nous, mais mis en oeuvre par des étrangers, souvent des clandestins bien sûr.

Que ce soit vrai ou faux n'est pas la question. C'est la proportion de l'espace du JT qu'occupent ces pseudo-enquêtes qui est le problème. La nation y est insidieusement présentée comme le refuge ultime, le patriotisme devient un passeport de présentabilité. La xénophobie, qu'on peut aussi appeler racisme, est ici fille de patriotisme. Et en plus ça fait de l'audimat, pourquoi se priverait-on ? Qu'un sang impur abreuve nos JT !

3/ De la Croissance

J'ai un traumatisme à confesser. Un jour de Noël, lors d'une réunion de famille, une cousine m'a offert un cadeau qui m'a marqué à vie : un balai à chiottes en pseudo porcelaine dont le support représentait une tête de cochon. Évocation de la supposée saleté que l'on prête aux cochons ? (alors qu'ils ne le sont que parce qu'ils sont incarcérés, comme nous le serions) Jeu de mot étymologique sur le mot porcelaine ? (croisement avec un mouton peut-être) Je ne sais.

Ce qui m'avait marqué à l'époque, c'était qu'une entreprise puisse fabriquer ce genre d'objet. C'est devenu pour moi, au fil du temps, le symbole de l'inutilité, de l'absurdité productiviste. La fleur du capitalisme en forme d'objet à récurrer les cuvettes douteuses, tout un symbole.

"Si ça paye, c'est bien !" disait Théodore Monod à propos de l'opportunisme à prétention écologique des multi-nationales qui gagnent désormais de l'argent en dépolluant après avoir elles-mêmes copieusement pollué. On peut appliquer la formule plusieurs fois par jour, même pour les balais à chiottes (on leur conseille quand même de se diversifier).

Tout ce qui génère un profit immédiat est valorisé, alors même que la situation catastrophique de la planète est le résultat direct de l'application effrénée de ce précepte depuis de longues décennies. Bon, il est vrai que ce n'est pas si grave, il ne s'agit que de la survie des êtres sur la planète. C'est pas comme si c'était un krach boursier !

4/ De la Natalité

Le principe de la croissance s'applique aussi à la démographie : une nation doit donc avoir une forte natalité. C'est pas grave si 1 milliard d'humains n'ont pas de quoi manger, boire ou se loger. La natalité, c'est bon. Point-barre.

Preuve s'il en est que les humains aussi sont considérés comme des marchandises. Je ne parle pas des animaux : c'est acté depuis belle lurette.

5/ Du Scepticisme

À propos de natalité, on ne cesse de répéter que la population allemande est vieillissante. Au moment où les allemands prouvaient qu'ils étaient le peuple le plus sensible au sort des réfugiés, certains commentateurs qui avaient fenêtre sur JT ne se sont pas gênés pour rappeler qu'un afflux de nouveaux bras et de nouveaux cerveaux pourrait être un bon calcul pour l'Allemagne.

Là où ça cloche, c'est que cet élan de solidarité venait quasi intégralement de la population elle-même, et non pas de décisions stratégico-politiques. Insinuer que le besoin de main d'oeuvre était la vraie raison de cet élan fut particulièrement indigeste, indigne. Triste à vrai dire. Le message était : méfiez-vous, ne vous laissez pas berner. En d'autres termes : la générosité n'existe pas.

Conclusion :

Ayant passé des années sans regarder les JT ou presque, ce qui s'y déroule me saute aux yeux. Je ne puis m'empêcher de penser au certes critiquable Michael Moore, qui a néanmoins bien cerné le rôle de la peur entretenue sur les chaînes de tv dans le processus de criminalité ordinaire aux États-Unis. Le contenu des JT français a un rôle non négligeable dans les dérives individualistes, xénophobes, conservatrices qui foisonnent en France actuellement.

Les rédacteurs en chef auront beau jeu de nous expliquer qu'ils ne font que refléter ce qui se passe. Ben voyons, c'est facile comme réponse. Surtout que peu à peu, ça se passe vraiment. Notamment, à force de regarder les JT. Et hop, le tour est joué !

Après tout peut-être le font-ils sans s'en rendre compte ? D'une certaine façon, c'est encore pire.

Pr Quolibet
(5eme dan de tushatu)

27 septembre 2015 TRASH NEWS

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